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A l'agité du bocal, quelques réactions
"A l'agité du bocal" for 3 tenors and 18 musicians, some reactions
"A l'agité du bocal" einige Reaktionen
De Jérémie Szpirglas
(revue Mouvement-avril 2012)
Compositeur atypique, qui tranche dans le cénacle contemporain par son indépendance d'esprit et la distance pleine d'humour qu'il sait mettre dans son travail, Bernard Cavanna fait partie de la famille. Surtout depuis la tournée de sa Messe, un jour ordinaire (qu'Ars Nova a donnée pas moins de vingt fois ! et enregistrée) ... une partition qui, elle aussi, mettait à contribution des choeurs amateurs des villes visitées. Il prend très naturellement part aux festivités de cet anniversaire et, après une magnifique anthologie de sa musique de chambre, interprétée avec maestria par les élèves du CESMD (Centre d'Etude Supérieur de Musique et de Danse) de Poitiers, il offre à l'ensemble, en guise de cadeau, une création singulière : À l'agité du bocal.
Le projet seul suffit à mettre l'eau à la bouche, le compositeur s'emparant en effet d'un texte et d?un auteur (Louis-Ferdinand Céline) pour le moins controversés.
En novembre 1947, alors qu'il est en exil au Danemark, poursuivi (et condamné) pour ses faits de collaboration, Céline répond au Portrait d'un antisémite qu'a dressé de lui Jean-Paul Sartre par un pamphlet violent, À l'agité du bocal. Il y met toute sa verve, sa truculence, son aigreur et sa méchanceté aussi. Le tout dans un style pour le moins ravageur ; ce fameux style que Céline appelle sa « flûte », et qui dit parfaitement ce que suppose de petite musique l'écrit littéraire. C'est cette violence mêlée de beauté et de grâce qui a inspiré à Bernard Cavanna une oeuvre lyrique hybride et puissante, dans lequel le génie de l'écrivain est célébré. Tout en se gardant bien de prendre parti pour ou contre l'homme politique, Sous-titré « bousin », c'est-à-dire tintamarre, farce, foire (on y entend un accordéon, des cornemuses, et même un orgue de barbarie !), « pour trois ténors dépareillés » ; le premier chante souvent en voix de fausset, le deuxième se laisser aller au lyrique dans une veine de pur bel canto, et le dernier pousse régulièrement de joyeux jodles, A l'agité du bocal pourrait ici tout aussi bien s'appeler À l'agité du vocal. Il ne ressemble en effet à rien d'autre sinon aux oeuvres précédentes de Cavanna, comme le Karl Koop Konzert dont il reprend une partie du matériau, comme pour mieux inscrire l'oeuvre dans l'Histoire en la teintant de l'histoire personnelle du compositeur.
C'est une oeuvre à la fois sensible et jubilatoire. L'écriture en est fouillée, mouvementée, à la fois spontanée et travaillée. Cavanna se refuse à toucher au texte lui-même, pour ne rien bouleverser de sa tonitruante petite musique. Il préfère lui imaginer un décor musical, magnifique et éloquent, tout en l'éclatant comme un faisceau lumineux au travers d'un prisme coloré. Cavanna diffracte la langue de Céline en palabres et éructations diverses et variées. Il ne se prive pour l'occasion d'aucun exercice de style : Jig plus ou moins celtique, blues, Kabarett-Song, marche de la Wehrmacht, foutoir forain, brouillage nazi (forme musicale typiquement cavannienne et intraduisible en français) "le désordre est joyeux", les fusées du feu d'artifice explosent en tout coin du ciel, et l'oeuvre n'en reste pas moins d'une cohérence captivante. S'il prend un malin plaisir à rappeler avec l'écrivain le passé de guerre plus ou moins glorieux de Jean-Paul Sartre (surnommé Jean-Baptiste Sartre par Céline, qui va jusqu'à réduire le nom de son accusateur à un simple J.B.S., trois lettres dont la traduction en morse constitue en partie la trame rythmique de la pièce musicale), Cavanna rappelle aussi en contrepoint, au moyen de citations musicales plus ou moins discrètes, l'engagement de Céline, son antisémitisme forcené.
Oeuvre coup de poing, A l'agité du bocal version Cavanna interroge également, sans en avoir l'air, le statut ambivalent de Céline dans notre société contemporaine.
ResMusica-Maxime Kaprielian
musique de la folie, de l'enfermement, de la haine. L'aspect parodique, le texte distribué aux voix, la présence d'instruments venus de la musique folklorique, l'esprit de Renard de Stravinsky n'est pas loin. Mais la musique reste typique de Bernard Cavanna, rétive à tout classement esthétique.
ResMusica-Michèle Tosi
La musique est à voir autant qu'à entendre dans cette danse bachique...Après Karlkoop Konzert, A l'agité du bocal renoue avec « la comédie sociale et réaliste » dont Cavanna se fait le héraut, avec cette manière bien à lui, inimitable, d'être grave tout en restant léger.
d'une spectatrice de Vitry-sur-Seine
Je tiens à vous exprimer mon plus profond dégoût pour ce que je viens d'entendre
de la Présidente de l'association "les amis de Max Jacob" au Ministère de la Culture:
...en cette année où la mémoire s'unit dans les commémorations de tous les résistants tombés pour la France, il me semble que cette programmation est sinon déplacée et d'une provocation inadmissible.
Je tenais à vous donner cette information et je vous serai reconnaissante de bien vouloir user de toutes vos forces pour déprogrammer ce spectacle qui déshonore un établissement subventionné sur des fonds publics.
(voir un aperçu des échanges dans la rubrique Diversions)
:-)